L’auberge rouge

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A l’évocation de l’auberge Rouge tout le monde pense aussitôt au film de Claude Autant-Lara ainsi qu’à Fernandel confessant Françoise Rosay derrière un grill à viande et à tous ces voyageurs qui ont eu la mauvaise fortune de s’y arrêter pour n’en jamais repartir.

L’âge d’or du cinema français

Certes l’histoire est authentique, l’auberge a existé et est toujours là mais qu’en est il exactement ?

L’auberge de Peyrebeille 

On la connaît surtout sous le nom de « l’Auberge Rouge »

Elle se trouve sur la commune de Lanarce en Ardèche sur un plateau balayé par une Burle glaciale en hiver. 

L’histoire se déroule au cours du premier Empire. Ce coin perdu d’Ardèche acquiert une notoriété qui ne se dément pas aujourd’hui encore, grâce à une affaire criminelle qui prend des proportions incroyables malgré son insignifiance.

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On prétend que les tenanciers, les époux Martin avec la complicité de leur domestique mulâtre Jean Rochette, on détroussé et assassiné une cinquantaine de voyageurs, toutefois seul le décès d’un client du nom de Jean Antoine Enjolras est clairement établi, qui plus est son cadavre est retrouvé à plusieurs kilomètres et rien ne prouve qu’il a été tué à l’auberge. Pourtant les Martin et Jean Rochette sont condamnés à mort et guillotinés devant l’auberge après un procès retentissant.

Trois condamnés à mort pour un meurtre dont on n’est pas sûr qu’ils en soient les auteurs, comment en est on arrivé là ?

L’histoire

On raconte que pendant un quart de siècle, entre 1805 et 1830 Pierre et Marie Martin (née Breysse) ont détroussé et assassiné une cinquantaine de voyageurs ayant fait halte dans leur auberge.

Leur complice Jean Rochette dit « Fétiche » est un ardéchois de pure souche mais son teint hâlé le fera décrire comme un mulâtre dans l’imagerie populaire, d’ailleurs dans le film de 1951 Autant-Lara confie son rôle à Lud Germain, un acteur et chanteur haïtien.

Pierre Martin, homme de caractère au coup de poing facile et toujours flanqué de Jean Rochette dont on dit qu’il vient « des Amériques » est craint dans le voisinage. De plus en 1830 les Martin mettent l’auberge en gérance et vivent de leurs rentes évaluées à 30.000 francs-or (environ 600.000 €). Tout ceci attise les rancœurs et les jalousies. Ce sentiment de défiance de la population locale les conduira à leur perte, car comment expliquer qu’une auberge perdue au milieu de nulle part ait permis d’amasser une telle fortune si ce n’est par le vol, or il n’en est rien et nous le verrons plus tard.

L’affaire débute à la fin du mois d’octobre 1831 par la découverte sur les berges de l’Allier, à une dizaine de kilomètres de l’auberge, du cadavre d’un homme au crâne fracassé. Il s’agît d’un maquignon du nom de Jean Antoine Enjolras qui a dormi à l’auberge quelques jours auparavant, c’est là qu’un témoin se manifeste aux autorités et raconte qu’il « aurait vu Martin, Rochette et un inconnu (qui serait André, le neveu de Martin) transporter un corps sur une charrette ».

Il n’en faut pas plus pour que le juge de paix Étienne Filiat-Duclaux se rende chez les Martin pour enquêter sur la disparition du maquignon. L’enquête pour meurtre enflamme les imaginations et plusieurs témoins, peu crédibles, imputent aux Martin cinquante trois disparitions et plusieurs tentatives d’assassinat et de vols.

En fait l’acte d’accusation ne retient que deux meurtres, quatre tentatives et six vols, ils sont alors arrêtés ainsi que leur neveu et Rochette.

Le procès

Le procès des « quatre monstres » s’ouvre aux assises de l’Ardèche, à Privas le 18 juin 1833.

Pas moins de cent-neuf témoins sont appelés à la barre relayant essentiellement les rumeurs de l’époque, Marie Martin « aurait » fait manger aux clients des ragoûts et des pâtés de chair humaine, certains « auraient » même aperçu des mains humaines mijoter dans la marmite, d’autres encore « auraient » senti des fumées nauséabondes s’échapper de la cheminée, et des enfants « auraient » été incinérés dans le four à pain, bref rien de très sérieux et tout au conditionnel.

Dix sept témoins à décharge sont entendus, le procès s’enlise à tel point qu’on envisage un moment l’acquittement des prévenus quand survient un coup de théâtre : Laurent Chaze, un mendiant qui a été un soir chassé de l’auberge faute de pouvoir payer sa nuitée affirme avoir assisté au meurtre d’Enjolras depuis la grange où il a trouvé refuge. Ce témoignage surement arrangé est sujet à caution car Chaze ne s’exprime qu’en Vivaro-Alpin et le procès en Français et de ce fait la communication n’était pas aisée.

Le sort des accusés est alors scellé par l’avocat de Jean Rochette qui au cours de sa plaidoirie, a implicitement accepté sa culpabilité en plaidant l’irresponsabilité, car celui-ci ne pouvait pas échapper à l’influence de ses maîtres auxquels il était voué corps et âme.

Finalement le couple Martin et Rochette sont jugés coupables du seul meurtre d’Enjolras, de quatre tentatives et de six vols, et acquittés pour tout le reste. André le neveu est acquitté faut de charges probantes contre lui.

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Le 28 juin, le verdict est rendu. C’est la mort pour les Martin et Rochette, le pourvoi en cassation est rejeté ainsi que la requête en grâce déposée auprès du roi Louis-Philippe.

Ils sont ramenés de Privas à l’auberge pour être guillotinés sur les lieux de leurs méfaits comme il est d’usage à l’époque.

Une pierre marque aujourd’hui l’endroit où a été dressée la guillotine.

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L’exécution a lieu le 2 octobre 1833, à midi, une foule très importante y assiste, on parle de 30.000 personnes, ce qui paraît exagéré mais démontre bien l’ampleur de la publicité qui entoure cette affaire.

Lorsque vient le tour de Rochette il s’écrie: « Maudits maîtres, que ne m’avez-vous pas fait faire ! » ce qui accrédite que bien qu’on ne puisse leur imputer les délires rapportés lors du procès, ils ont quand même du sang sur les mains mais on ne saura vraiment jamais dans quelle mesure.

Les corps des trois suppliciés sont inhumés dans le cimetière de Lanarce mais depuis leur tombe a disparu.

La nuit suivant l’exécution les trois têtes sont volées avec l’aide du fossoyeur. Moulées à des fins d’études de phrénologie alors en vogue à l’époque, elles sont encore conservées au musée Crozatier au Puy en Velay.

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L’analyse du procès et les irrégularités.

L’accusation a longuement évoqué des faits prescrits, car trop anciens, des témoignages manifestement irrecevables faisant état d’anthropophagie ou de crémation d’enfants ont été entendus et ont influencé négativement le jury.

Par ailleurs, à l’encontre de tous les usages qui donnent la parole à la défense en dernier, le président de la cour d’assises, Fornier de Claussonne, a effectué un « résumé » des débats après les plaidoiries de la défense ce qui s’apparente à un second réquisitoire au cours duquel il a sciemment ignoré les arguments apportés par la défense, qui avait mis en avant que le témoin principal Chaze était un clochard ivrogne et que son récit était invraisemblable et de plus incompréhensible du fait de sa méconnaissance du français.

De nombreuses pièces du dossier faisant état des étapes de la vie des époux Martin ont été arrachées et ont disparu des archives judiciaires. Le mystère de leur culpabilité ou de leur innocence ne sera jamais éclairci.

Contexte politique et imaginaire collectif

L’affaire de l’Auberge rouge doit être replacée dans son contexte historique.

L’année 1831 est le théâtre des insurrections des forêts royales en Ardèche suite à la restriction du droit des paysans de ramasser du bois au profit des scieries. Certaines sont incendiées de nuit et la région que les incendiaires connaissent parfaitement leur permet d’échapper aux gendarmes. C’est dans ce contexte que le dossier des Martin est instruit.

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Nul n’ignore l’appartenance du couple Martin au clan des ultra-royalistes. Marie Breysse a caché un curé réfractaire pendant la révolution tandis que Pierre Martin est un homme de main de la noblesse locale.

On a la certitude qu’il a fait pression sur les propriétaires locaux afin qu’ils cèdent leurs terres à bas prix aux nobles revenus d’exil à la Restauration ce qui lui vaut pas mal d’animosité de la part de la population locale.

De plus, il est soupçonné de sympathiser avec les coupeurs des bois ce qui le place en butte au mécontentement général.

C’est ce contexte délétère qui permet à l’affaire d’être sévèrement jugée, les royalistes ardéchois sont visés à travers eux. Louis-Philippe sur rapport du procureur, refuse d’accorder sa grâce, donnant ainsi son aval à une justice partisane et aux rancœurs politiques locales.

Claude Boyer


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