Second volet des recherches de Jean-Pierre Violino sur la terre dans les pays méditerranéens. Dans le 1er volet, Jean-Pierre Violino plantait le décor.
La Provence a beaucoup à apprendre de la Grèce… fut-elle antique ! Des problèmes identiques se posent et les auteurs athéniens ont apporté des solutions innovantes. La terre est aussi importante en Provence et Occitanie qu’en Hellas (sud de la Grèce)… comme dans tout le monde méditerranéen.
Progressivement, la Grèce assiste à la transmutation de la propriété collective en propriété individuelle consécutive à l’accaparation des terres collectives par les vainqueurs des guerres que se livrent les différentes cités.
M. Quatremère de Quincy (1755-1849) “Mémoire sur la description du bouclier d’Achille par Homère”
A depiction of the shield of Achilles, based upon Homer’s description
Ce lien de la terre et de la guerre se retrouve dans la description du bouclier d’Achille (voir représentation ci-dessus) dont les scènes figurées évoquent la terre, toujours nourricière. C’est Héphaestos qui forge les armes d’Achille (« Iliade », chant XVII) :
“II y met aussi une jachère meuble, un champ fertile, étendu et exigeant trois façons. De nombreux laboureurs y font aller et venir leurs bêtes en les poussant dans un sens après l’autre. Lorsqu’ ils font demi-tour, en arrivant au bout du champ, un homme s’approche et leur met dans la main une coupe de doux vin, et ils vont ainsi faisant demi-tour à chaque sillon. Ils veulent à tout prix arriver au bout de la jachère profonde. Derrière eux, la terre noircit, elle est toute pareille à une terre labourée … Il y met encore un domaine royal. Des ouvriers moissonnent la faucille tranchante à la main … Il y met encore un vignoble lourdement chargé de grappes … Il y figure aussi tout un troupeau de vaches aux cornes hautes … y fait aussi un pacage dans un beau vallon, un grand pacage à brebis blanches, avec étables, baraques couvertes et parcs.”
Alors que des territoires entiers, habitants compris, sont offerts pour services rendus (en Asie), apparaissent les premiers arpenteurs dont les mesures servent à régler les contestations.
La cité homérique comprend trois classes :
– Les nobles qui possèdent les plus belles terres à blé, les coteaux couverts de vignobles, les herbages et de vastes pâtis
– les émiurges, qui occupent de petits lopins qu’ils défrichent, fument, irriguent pour un résultat souvent médiocre
– la multitude, qui ne possède pas de terre et qui est sans qualification. Cette dernière forme un sous-prolétariat de mendiants ou de thètes. Ce sont des travailleurs qui se louent souvent comme mercenaire ; Achille préfère être thète que roi au royaume des morts : « J’aimerai mieux servir ( thèteuémen) comme paysan un autre paysan, un homme sans domaine et sans ressource que d’être roi sur tous ces êtres consumés » .
Le triomphe d’Achille (Achilleion, Corfou, Grèce)
Achille’s triumph
Posséder des terres est une marque de noblesse et un signe de savoir faire, et seul le propriétaire terrien peut prétendre au titre de chef, la possession de terres est une condition pour être reconnu. Homère lie, par ailleurs la fécondité de la nature à la perfection du monarque : “La terre noire produit les orges et les blés, les arbres sont chargés de fruits, les brebis prolifèrent et la mer donne du poisson, grâce à sa droite règle, et les peuples sous lui prospèrent” .
Le vrai domaine est complet, le Grec possède des terres pour le blé, des vignes, des prairies pour faire paître les animaux. La richesse d’un « oikos » se compte aussi en nombre de têtes de bétail (bœufs surtout). Avant l’existence de la monnaie, les bovins servent d’unité de compte. Dans l’Iliade, une esclave est estimée à quatre bœufs, une armure à neuf et un trépied à douze.
Le vrai noble possède aussi un jardin, tel Laërte, le père d’Ulysse. L’idéal archaïque est de posséder assez de terre pour subvenir à tous les besoins, car non seulement elle est marque de noblesse mais elle libère, puisque son possesseur ne dépend de personne. La terre a aussi un côté sacré et magique . L’expression proverbiale “ce n’est pas l’heure de remonter au chêne et au rocher” cité dans l’Iliade (chant XXII) aurait été une allusion aux mythes selon lesquels la race humaine serait issue d’arbres et de pierres. Pourtant toute la terre n’appartient pas qu’aux nobles, les petits paysans occupent les mauvaises terres (« l’eschatié »).
Cette paysannerie forme le gros de l’assemblée à Itaque quand Télémaque la convoque, mais n’a pas droit à la parole. La propriété est indépendante du rôle politique (notamment à Itaque) et il existe des propriétés serviles. Ce groupe privilégié qui apparait chez Homère, jouit de l’estime et de la confiance de son maître, il participe à la gestion de l’oikos. Eumée, le porche d’Ulysse en est un exemple, il a reçu de son maître un lopin de terre et une femme .
Dans les poèmes homériques, on ne connaît aucun exemple de partage de grands domaines entre enfants, ni de paysan indépendant, mais cela ne signifie pas qu’il n’en existât pas en ces temps là. Toutefois, des bergers indépendants sont signalés. Les travaux des champs apparaissent, eux, toujours comme des travaux pénibles, notamment l’épierrage des champs mais heureux. Selon une scolie, le vent provoquerait la contraction de la surface du sol et l’humidité descendrait jusqu’aux racines .
C’est tout un concept du travail de la terre que Homère nous offre, noble parce que productif et en concordance avec les rythmes de la vie et des saisons. Et les bonnes terres reviennent aux héros, fils des dieux et des déesses. Ainsi donc, les poèmes homériques vantent le travail de la terre toujours en accord avec les divinités, et sont à considérer comme un manuel idéologique dans la Grèce archaïque.
Jean-Pierre Violino