Une anecdote amusante
Si je vous demande où a débarqué Napoléon à son retour de la campagne d’Egypte vous me répondrez sans coup férir : A St Raphaël.
Si je vous demande la date, là ce sera un peu plus confus, c’était le 17 Vendemiaire de l’an VIII soit le 9 octobre 1799 selon le calendrier Grégorien.
Mais si je vous demande une anecdote sur son fils Napoléon II aussi appelé le Roi de Rome, là je doute que vous puissiez me répondre, c’est pourquoi je vous livre celle ci.
Le Roi, le poulet et les sentinelles
Voilà un titre digne de la Fontaine.
Pendant la belle saison, l’entourage du fils de l’Empereur, le jeune roi de Rome, se transporte au château de Saint-Cloud. L’enfant s’y trouve plus à l’aise, peut courir et gambader.
Là, ce n’est plus le roi de Rome, c’est un gracieux enfant qui joue sans contrainte, sur les gazons fleuris. Aussi le château de Saint-Cloud est-il son séjour de prédilection.
A la grille de la porte du petit parc se trouve un poste de soldats d’infanterie. Dans ses promenades sans étiquette, le petit prince vient plusieurs fois par jour le visiter. Il entre sans façon dans le corps-de-garde, joue avec les militaires qui, flattés de cet honneur, se montrent toujours très empressés à satisfaire à ses caprices.
Napoléon II est curieux
Un jour, il y arrive au moment où l’on apporte la gamelle pour le repas du soir. S’approchant du sergent, il lui demande avec une curiosité enfantine :
« Qu’est-ce que tu manges là ?
– Sire, c’est le rata.
– Qu’est-ce que c’est le rata ?
– Sire, le rata est l’ami du soldat ; ça ne lui donne pas d’indigestion, mais ça le nourrit ; ça peut même le désaltérer, vu que la sauce est assez claire pour servir de boisson.
– Et qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?
– Sire, il y a, dit-on, un peu de viande, beaucoup d’eau, pas mal de pommes de terre, de haricots ou de lentilles ; on n’y met jamais de beurre, afin que ça ne fasse pas de tache s’il en tombe sur le fourniment ; en revanche, on n’y épargne pas le sel ; on fait cuire à petit feu, et on vous apporte ça une heure après que c’est retiré de la marmite et avant que ça soit figé.
– Et est-ce bon, ça ?
– Ca se laisse manger à toute heure du jour, et même entre les repas ; mais ça ne vaut pas les poulets rôtis dont Votre Majesté se régale tous les jours.
– Tu aimes donc le poulet rôti, toi ?
– A vous parler sans fard, Sire, je ne suis pas l’ennemi du poulet rôti ; j’avouerai même que j’ai pour lui une passion d’autant plus grande qu’elle est plus malheureuse, car je n’en ai jamais mangé. »
A ce mot, le caporal part d’un grand éclat de rire, et, comme il a la bouche pleine, il manque de s’étouffer.
« Eh bien ! je t’en ferai manger, moi, du poulet rôti”, dit le petit Roi.
– Ça n’est pas de refus, Sire. »
Vol au château
Et le jeune prince part en courant. Il est l’heure de son dîner qu’on sert dans une salle à manger donnant sur le parc. Le service est fait, et, parmi les mets qui attendent sur leurs réchauds d’argent, se trouve un magnifique poulet rôti.
Profitant d’un moment où la salle se trouve vide, le petit roi grimpe sur une chaise, de là sur la table, et, à quatre pattes, il parvient jusqu’au poulet dont il s’empare. Puis il se sauve comme chat coupable qui aurait dérobé quelque chose sur la table de son maître. Il cout vers le corps-de-garde, où il arrive d’un air triomphant, en criant :
– « Le voilà, le voilà, le poulet rôti ! »
Après les remerciements, le sergent découpe gravement le poulet impérial, fait la distribution en se réservant, bien entendu, la meilleure part, et, au grand contentement du roi, les soldats se mettent à manger en poussant des cris de satisfaction.
Alerte enlèvement à Saint cloud
Cependant la disparition du poulet a fait un grand effet au château. On a d’abord accusé tous les chiens et tous les chats, puis les valets, puis les maîtres d’hôtel, tout le monde enfin, excepté le vrai coupable.
Il faut bien vite réparer cet accident, ce qui retarde un peu l’heure du repas, et enfin un huissier est chargé d’aller prévenir Sa Majesté qu’elle est servie.
L’huissier, qui connait les habitudes du prince s’en va au corps-de-garde où il l’aperçoit entouré du sergent armé d’une aile, du caporal brandissant une cuisse, et de tous les autres se régalant de la carcasse de ce fameux poulet qui a causé tant de remue-ménage au château. Tout est expliqué, et le petit roi quitte sous les vivats ses amis les soldats qui, la bouche pleine, crient :
« Vive le roi de Rome ! »
Cette histoire que je viens de vous raconter est une fable.
En effet Napoléon II est né en 1811 et il est parti pour l’exil en Autriche en 1814 au lendemain de la défaite de Waterloo qui a contraint son père à abdiquer.
J’ai trouvé ce conte bien sympathique et j’ai eu envie de vous le raconter.
“si non en vero e ben trovato“
Claude Boyer